Section PCF RATP

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Réflexions des communistes de la RATP sur l'offre de transport de nuit

La question de l’offre de transport la nuit revient régulièrement dans l’actualité, en particulier dans les débats au sein de la majorité municipale de la Ville de Paris.

Les communistes de la RATP souhaitent donc apporter leur éclairage sur cette question.

Aujourd’hui, la desserte de nuit est structurée ainsi :

  • Métro, tramway, bus et RER A et B s'arrêtent entre 1h et 1h30 du matin en semaine, et roulent jusqu'à 2h15 du matin les vendredis, samedis et veilles de fête.
  • Les trains du réseau Transilien s’arrêtent pour la plupart vers 0h30.
  • Le réseau de bus Noctilien prend le relais et fonctionne quotidiennement entre 0h30 et 5h30 (certaines lignes commençant dès 23h30 et finissant à 6h30). Il a été initié en 2005 par la restructuration du réseau Noctambus qui était apparu en 1997. Noctilien est composé de 48 lignes de bus (32 exploitées par la RATP desservant Paris intra-muros et la première couronne, 16 par la SNCF desservant la grande couronne). Il est composé d'une circulaire à double sens qui relie les quatre gares parisiennes, de lignes radiales de banlieue à banlieue via Châtelet, de lignes au départ de chacun des cinq pôles vers la grande banlieue, ainsi que de deux lignes de banlieue à banlieue. Le réseau Noctilien a été régulièrement renforcé ces dernières années par IdFM et assure 12 millions de voyages annuels.

Le sujet des éventuelles évolutions de cette offre doit à notre sens être abordé sous trois angles : sociétal, technico-économique et social.

 

  1. L’aspect sociétal

Les réseaux de transports collectifs ne sont pas seulement une réponse à un besoin de déplacement. Ils jouent aussi un rôle structurant dans le fonctionnement de la société et dans l’aménagement des villes et des espaces. C’est particulièrement vrai pour les modes lourds comme le train, le métro ou le RER.

Il est d’ailleurs frappant de constater que, jusqu’à présent, la plupart des réflexions sur le sujet ont été marquées par une approche où l’évolution de l’offre de transports collectifs est conçue comme un levier pour changer la conception du temps humain et banaliser la nuit.

Par exemple, l’étude de l’APUR de 2004 (réalisée à la demande de la RATP et de la Ville de Pairs) écrit : « Cette étude à caractère exploratoire rappelle les transformations profondes de la société qui ont fait de la nuit un temps comme un autre (…) Ces premières conclusions permettent d’identifier quatre axes d’intervention pour les pouvoirs publics : adapter l’offre de services au décalage de la vie urbaine vers le soir, développer le tourisme et l’économie de nuit, accroître l’offre de transports publics au cœur de la nuit, concilier les usages et maîtriser les nuisances. » La banalisation de la nuit est ainsi présentée comme une évolution naturelle et inéluctable à laquelle il faudrait se plier. Alors qu’elle découle en réalité de la logique d’un système capitaliste qui tend à marchandiser tous les moments de l’existence pour en faire une source de profit.

La question des transports de nuit renvoie donc à des choix politiques fondamentaux. D’où la nécessité de répondre d’abord à quelques questions :

  • Quelle conception de la ville veut-on développer ? Veut-on par exemple faire de Paris une ville qui ne dort jamais, avec des commerces ouverts 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 ?
  • Quelles organisations de travail veut-on promouvoir ? Veut-on par exemple structurer les réseaux de transport collectifs pour favoriser l’allongement des horaires de travail, le travail du dimanche et le travail de nuit ?
  • A quelles populations donne-t-on accès à Paris le soir et la nuit ? S’agit-il de privilégier les seuls habitants de la ville et les touristes, ou bien permet-on aux habitants de la banlieue, y compris à ceux de la deuxième couronne, d’accéder eux aussi aux lieux de vie, de culture et de loisir de la capitale ?
  • Au-delà de ces aspects transports se pose la question de l'aménagement urbain et de la localisation des lieux de loisirs et de culture de la région parisienne, aujourd'hui excessivement centralisés.

Précisons qu’aujourd’hui, sur les trajets nocturnes quotidiens (entre 21h et 5h), en semaine, les ¾ s’effectuent entre 21h et 24h. La soirée la plus forte en termes de déplacements liés aux loisirs est celle du samedi, avec près de 80% des voyages.

Sans nier les besoins de transport nocturnes à des fins de divertissement, il faut aussi noter que les transports de nuit existants sont avant tout utilisés par des travailleurs, notamment par ceux qui sont déjà parmi les plus exploités en termes d’emploi précaire, de bas salaires et de conditions de travail au rabais. Pour eux, une extension des horaires des transports se traduirait par des rythmes de travail encore plus nocturnes et dérégulés.

De ces réflexions, on peut tirer quelques principes :

  • Oui à des solutions qui répondent aux besoins réels des populations en termes d’accès aux loisirs et à la culture, non à celles qui tendent à favoriser la déréglementation du travail.
  • Non à des mesures qui seraient discriminatoires à l’égard des banlieusards.

 

  1. L’aspect technico-économique

La période de nuit est aujourd’hui utilisée pour la maintenance du matériel roulant et des infrastructures du métro. Il y a sur ce réseau 400 chantiers par nuit en moyenne. Cette période a déjà été réduite à l’extrême par l’allongement des plages de desserte. La réduire encore supposerait :

  • Soit d’augmenter les pas de maintenance des infrastructures, au risque de compromettre la qualité des infrastructures et du matériel, et in fine la sécurité du réseau.
  • Soit d’accroître significativement les effectifs et les moyens matériels de la maintenance, ce qui augmenterait les besoins de financement des transports franciliens, déjà difficilement couverts aujourd’hui.

La référence souvent faite au métro de New-York (dont plusieurs lignes fonctionnent toute la nuit) n’est pas pertinente de ce point de vue : à New-York, les voies de métro sont doublées, ce qui permet de mixer entretien et exploitation ; à Paris, la structure du réseau ne le permet pas. De même, la référence à Londres (où le service est continu le week-end) est trompeuse, puisque ce réseau ferme plus tôt que celui de Paris en semaine, laissant ainsi plus de temps disponible pour les travaux de maintenance.

Il est par ailleurs illusoire d’imaginer une ouverture alternée des lignes de métro la nuit en fonction des jours de la semaine : les trains de travaux de nuit partent tous du même point (ateliers de la Villette) et empruntent les voies des différentes lignes pour accéder à leurs zones d’intervention respectives.

Toute extension des transports de nuit est donc problématique pour ce qui concerne le réseau de métro, que la ligne soit automatique ou non.

Sur le strict plan des impacts financiers, il faut rappeler les estimations de l’étude Alenium commandée par le STIF en 2016 : une ouverture de toutes les lignes de métro 24h sur 24 le week-end coûterait au minimum 100 M€ par an, alors que le renforcement et l’extension des Noctilien coûterait de 10 M€ à 50 M€ selon son ampleur.

En ce qui concerne le tramway, la maintenance du matériel roulant est également réalisée la nuit, car toutes les rames sont assujetties à l’exploitation sur l’amplitude de l’offre de transport en journée. Il en est de même pour la maintenance des infrastructures (voie et caténaires), même si les contraintes sont moins prégnantes que pour le métro.

L’hypothèse a été évoquée de faire rouler les tramways de manière automatique de 1h30 à 5h30. Il s’agit cependant d’un scénario qui ne peut être envisagé qu’à long terme car le tramway ne fonctionne que partiellement en site propre, et l’insertion dans la circulation de véhicules autonomes nécessite encore une longue période d’étude et d’expérimentations. De plus, cette hypothèse impliquerait une approche complètement différente de l’organisation de la maintenance, avec probablement la création d’une réserve de matériel roulant, et donc des investissements supplémentaires.

 

  1. L’aspect social

Le développement de l’offre de transport la nuit implique évidemment des recrutements, mais aussi une extension du travail de nuit pour les agents RATP de différentes catégories.

Par exemple, si on veut prolonger le métro, outre la nécessité d’augmenter le nombre des agents de conduite pour les lignes non-automatiques, ce sont toutes les stations d'une ligne qui doivent rester ouvertes, ce qui augmente notablement le besoin en personnels de station et en agents de sécurité, encore plus important la nuit alors même que la fréquentation est minimale aux heures tardives.

Si le travail avec des repos décalés et des horaires atypiques est déjà pour nous une réalité découlant des obligations de service public, toute extension de l’offre de nuit aboutit nécessairement à multiplier ce type de contraintes pour les personnels, avec des impacts forts et reconnus sur la santé.

Or, depuis la réforme des retraites de 2008, les agents ne bénéficient plus de compensation en termes de durée minimale de carrière pour l’ouverture des droits (avec la suppression des années de bonification pour les agents embauchés depuis janvier 2009, et qui représentent désormais la majorité des salariés de l’entreprise).

Cela veut dire que, tant que la pénibilité ne sera pas reconnue et réintégrée dans les conditions de départ en retraite des agents de la RATP, toute extension de l’offre de transport de nuit entraîne potentiellement une dégradation des conditions d’emploi des personnels.

De plus, le renforcement des Noctilien a été jusqu’à présent réalisé avec l’objectif d’économies sur le « coût du travail » :

  • Avec une dégradation du nombre de jours de repos le weekend (pour certains agents, cela signifie une utilisation jusqu’à 3 weekends travaillés sur 4) ;
  • Avec le recours privilégié à des jeunes embauchés, moins coûteux, pour assurer ces services qui étaient auparavant plutôt réservés à des agents en fin de carrière ;
  • Avec des modalités d’utilisation des personnels minimisant le nombre d’agents reconnus comme « travailleurs de nuit » (selon les critères de l’accord d’entreprise), dans le but de réaliser des économies sur leur rémunération.

 

  1. En conclusion

Nos préconisations :

  • La question de l’offre de nuit doit être abordée à l’échelle régionale et non avec une vision uniquement parisienne.
  • L’objectif doit être de satisfaire les besoins de mobilité réels et non de chercher à favoriser l’ouverture de commerces et l’extension du travail de nuit. La démarche doit s’appuyer sur une étude approfondie et une enquête pour évaluer avec précision ces besoins.
  • Une extension systématique des plages de desserte actuelles des modes ferrés (métro, tramway) n’est pas pertinente, en raison des impossibilités techniques de cette solution, de son caractère potentiellement discriminatoire à l’égard des habitants de la grande couronne, et de ses impacts sociétaux négatifs. Les cas de mise en œuvre de cette disposition doivent demeurer exceptionnels comme aujourd’hui (nuit du nouvel an, nuit de la musique).
  • Le réseau Noctilien doit être réorganisé pour en resserrer le maillage et réduire les temps d’attente. En effet, sa structure est essentiellement radiale (Paris - banlieue). Par ailleurs, la longueur des lignes est telle (par exemple, près de 34 km pour le N34 Gare de Lyon - Torcy), que cela rend les conditions d’exploitation et de travail difficiles (dans ce cas, 3h l’aller/retour). Et la fréquence sur beaucoup de lignes desservant la grande banlieue (50 à 60 minutes, y compris le week-end) est insuffisante pour les usagers.
  • L’évolution de l’offre de transport de nuit doit intégrer une dimension sociale, en visant une amélioration des conditions de travail et des compensations à la pénibilité.

 

 

09/04/2018